La soirée était déjà bien avancée mais il faisait encore jour et chaud. J'aimais l'été, cette douce chaleur qui restait dans la campagne. Le petit village de Blichy était comme une deuxième maison pour moi : un peu isolé, avec de la vie le soir au marché. On pouvait y passer d'un lieu animé aux champs déserts en à peine deux minutes et cela me plaisait beaucoup.

J'avais simplement revêtu une robe bleue à fleurs blanches, des petits talons de couleur claire et j'avais laissé mes cheveux libres sur mes épaules. C'était les vacances, je n'avais pas besoins de me prendre la tête, surtout pour aller au marché nocturne.

La foule un peu dense m'oppressait mais je longeais tout de même les étales à la recherche d'un petit quelque chose pour Etienne. Je ne l'avais pas vraiment remercié de m'avoir repêchée dans la rivière et je me sentais redevable.

Il y avait de tout, des vêtements, des bijoux, de la nourriture, des objets étranges, du mobilier, mais rien ne m'attirait plus que cela. De plus, mon budget de lycéenne était un peu restreint, même avec mon argent de poche et ce que me rapportait mon baby-sitting.

Je repérai deux ou trois vernis sympas et je décidai de me faire plaisir tout en vérifiant la monnaie qu'il me resterait après. La grande place et les halles de Blichy ne désemplissaient pas malgré l'heure plutôt tardive, aux environs de 23 heures.

Soudain, j’aperçus une diseuse de bonne aventure entre un marchand de poulets et un menuisier. Un sourire se dessina sur mon visage, peut-être qu'elle vendait des porte-bonheurs et autres grigris, j'aurais alors trouvé mon cadeau.

D'un bon pas, je me dirigeai vers son stand et tout à coup heurtai une personne à peine plus grande que moi qui laissa échapper au sol tous ce qu'elle tenait dans les mains.

Mais pourquoi est-ce que j'étais venue dans ce trou paumé ? J'aurais dû aller à New Jaolins au lieu d'aller me perdre à Blichy. Heureusement que le marché était plutôt animé, parce que les champs de blés et la ferme c'était pas la fête...

En plus, j'étais ici pour le boulot. Mon patron m'avait conseillé le marché pour son ambiance festive (et encore) et après il m'avait chargée d'une petite tâche...

Flashback
Au café, dans la journée pendant une de mes pauses...

"Oh si tu y va ce soir, tu pourrais passer voir Albert ? Il doit me livrer et il faudrait lui rappeler."

Je souris. J'aime vraiment mon travail de serveuse, même si à la base je veux danser, alors je veux le garder. Et pour cela, il faut que le patron m'ait à la bonne. Je ne peux pas croire que ces mots sortent de ma bouche, moi qui m'était prévu une petite soirée tranquille dans une ville...

"Oui, je passerai le voir."
Fin Flashback

Après avoir tourné en rond durant une demi-heure à la recherche d'Albert, je l'avais enfin trouvé. C'était un homme d'un certain âge qui ne devait pas connaitre le sens de l'expression "alimentation équilibrée". Avec son énorme visage rouge, sa moustache, son crâne chauve et sa chemise à carreaux un peu juste pour son embonpoint il n'était pas vraiment charismatique. Et la façon dont il lorgnait mon décolleté, d'accord un peu osé, me donnait plus envie de gerber qu'autre chose.

Une fois que j'eus passé mon message, il me tint la jambe pendant au moins dix bonnes minutes où la seule chose que j'avais envie de faire c'était de me barrer en courant. Ses histoires de poireaux et de carottes, non merci...

Finalement je fis mine de reconnaitre quelqu'un dans la foule, pris le sac de légumes qu'il m'offrait pour je-ne-sais-quelle-raison et partis très rapidement. Je voulais juste m'éloigner de son haleine de phoque et ses relents de transpiration.

C'est alors que je heurtai de plein fouet une jeune fille asiatique comme moi et laissai échapper mes légumes. Par réflexe je marmonnai un "Pardon." inaudible et commençai à les ramasser.

Cet espèce de porc de Albert avait osé me donner des navets, nan mais beurk... Quelle idée ! En face de moi la fille semblait désolée, pourtant ce n'était pas sa faute, mais plutôt la mienne.

"T'inquiète donc pas, c'est rien. Je vais bien et ces..." Je désignai les végétaux au sol. "...Choses, on me les a données... Donc c'est pas grave."

La jeune fille, un peu plus âgée que moi apparemment, se pencha immédiatement pour ramasser ses légumes tombés au sol. Si je n'avais pas été paralysée je me serais précipitée pour le faire mais j'étais tellement désolée que je ne savais plus quoi faire. Il me sembla qu'elle marmonnait quelque chose, sûrement contre moi puisque c'était ma faute...

Son visage se décomposa lorsqu'elle remit un navet dans son sac. Apparemment elle ne savait pas trop ce qu'il faisait ici. Pourtant elle l'avait bien acheté, non ? En plus des navets, cela pouvait être pas mal dans une bonne soupe.

"T'inquiète donc pas, c'est rien. Je vais bien et ces..."

Elle montra du doigt les légumes qui restaient au sol, un peu comme si elle me prenait à parti.

"...Choses, on me les a données... Donc c'est pas grave."

Ces choses ? Elle devait vraiment les détester pour dire cela. Je savais bien que la plupart des gens n'était pas fans des légumes dans leur assiette, mais tout de même ! Mon esprit de cuisinière adorait en préparer, faire de jolies assiettes avec plein de couleurs, comme un arc en ciel.

Je retrouvai alors le contrôle de mes membres et m’accroupis pour l'aider à les ramasser. Elle était plutôt jolie et les passants se retournaient pour la regarder. Sa tenue devait aider un petit peu, en effet elle portait un mini-short jaune et un chemisier très décolleté blanc. Et puis sa coiffure dégageait bien son visage tout mignon. Enfin elle avait un bonnet gris avec deux ou trois boutons rouges cousus dessus.

En tous cas, elle ne me considérait pas comme responsable si je m'en tenais à ses propos. Pourtant, j'aurais dû regarder ce qui m'entourait au lieu de faire une fixette sur le stand de la cartomancienne. Je décidai donc de m'excuser moi aussi.

"Non c'est ma faute. Je suis vraiment désolée..."

Je savais que mon visage devait se faire implorant bien contre mon gré. Je ne voulais pas paraître faible, je ne l'étais pas ! J'avais juste besoin d'un superman pour s'occuper un peu de moi de temps en temps.

Il lui fallut quelques secondes avant de réagir et de m'aider à ramasser mes légumes. Elle était plutôt mignonne en fait, pas comme l'autre Albert. Avait-il vraiment eu l'espoir de me faire tomber sous son... Ah non mince, il n'en avait pas de charme, j'oubliais. Même mon grand-père était plus séduisant, c'était dire...

En attendant, j'avais devant moi une petite lycéenne avec un joli minois à croquer. Enfin je supposais que c'était une lycéenne. En plus elle était certainement hétéro. Rooh et puis au pire elle pourrait devenir bi pour moi, non ? Je détestais forcer la main aux gens quand même... Je verrai bien plus tard.

J'étais donc plongée dans ces réflexions tout à fait normales, lorsqu'elle pris la parole d'une voix timide.

"Non c'est ma faute. Je suis vraiment désolée..."

Elle était vraiment mignonne. Si elle n'était pas bi ou lesbienne je me promis de la considérer comme ma petite sœur. Un peu comme ma cousine donc. Sauf que j'aimais bien embêter ma cousine pour un oui ou pour un non.

J'offris donc à la petite demoiselle bien charmante un grand sourire avant de lui poser deux ou trois questions sur elle.

"Arrête donc, ce n'est la faute de personne et puis voilà. Peut-être que c'est simplement le destin. Tu t'appelles comment au fait ? Moi c'est Stella."

Je ramassai mes derniers navets et me relevai en attendant une réponse. autour de nous les gens nous regardaient, dire que j'avais dû ramasser ces choses... Heureusement que cela m'avais permis de tomber sur la petite, sinon je me serais énervée un bon coup en passant ma colère sur le premier venu.

Stella et les légumes:

Elle me sourit largement. Ce genre de sourire vraiment sincère qui fait que l'on a immédiatement confiance en cette personne en face de nous. J'en esquissai un moi aussi, mais il n'était sûrement pas aussi convaincant.

"Arrête donc, ce n'est la faute de personne et puis voilà. Peut-être que c'est simplement le destin. Tu t'appelles comment au fait ? Moi c'est Stella."

Le destin ? Elle y croyait vraiment ou c'était juste comme ça ? Je n'allais sûrement pas la contredire puisque j'adorais tout ce qui était en rapport avec le surnaturel et le paranormal. Mais je n'aurais quand même pas évoqué le destin pour expliquer notre rencontre.

Elle me demandait comment je m'appelais. A moi. La fille souvent seule depuis que sa meilleure amie avait déménagée. Je me relevai en même temps qu'elle, époussetai ma robe puis lui souris.

"Mia. Je m'appelle Mia."

J'avais l'impression que ces derniers temps je m'étais présentée plus souvent qu'en plusieurs années. De plus cette fille avait vraiment l'air gentille, peut-être un peu impulsive, mais cela avait peu d'importance. Elle ne voulait pas que je me sente coupable. C'était bien.

Elle attendit que nous soyons relevées pour me répondre avec un sourire timide tellement mignon. Ok, elle ne devait pas avoir l'habitude que les gens lui parlent comme ça.

"Mia. Je m'appelle Mia."

Bon, ça allait aller, il y avait plus compliqué à retenir comme nom. En fait aucun prénom ne me semblait bien compliqué à retenir. Parfois il m'arrivait même de finir par connaître des clients avec qui je n'avais jamais vraiment parlé. Enfin c'était plutôt rare, parce que les lycéens bof hein...

Vu comme elle m'avait regardée quand j'avais "mal" parlé des légumes, elle ne devait pas avoir une aversion profonde pour ceux-ci. Non pas que je n'aimais pas les légumes, il en faut bien un peu dans la vie quand même, à moins de vouloir ressembler à une barrique. Quoique Albert ça ne lui avait pas réussi, mais alors pas du tout. Il devait se goinfrer avec des pizzas en cachette en fait.

Bref, personnellement je n'étais pas vraiment attachée à ces trucs. Et puis ils venaient d'un vieux dégueulasse. Si je faisais une bonne action dans ma vie en lui donnant... Pourquoi pas après tout ?

"Tiens." fis-je en lui tendant le sac, "J'en veux pas et toi... Ça te sera sûrement plus utile qu'à moi."

Mais... Je ne valais pas mieux qu'Albert là niveau technique de drague. Sauf que je n'étais pas grosse, ni crade, je ne puais pas la sueur et tout. J'étais juste un peu cinglée et bi. Et puis je ne draguais pas, je me faisais juste une amie.

*D'une lycéenne* lança une petite voix dans ma tête.

Tss, mais elle n'avait pas l'air complètement immature elle. Juste un peu timide et fermée sur elle-même, c'était différent. Je lui souris à nouveau. Il ne fallait pas que je lui fasse peur non plus, ce serait bête quand même.

"Sinon tu faisais quoi ici ?" demandai-je avec un énième sourire.

Stella sembla hésiter quelques secondes, puis elle me tendis le sac qu'elle avait dans les mains.

"Tiens. J'en veux pas et toi... Ça te sera sûrement plus utile qu'à moi."

J'étais un peu surprise qu'elle me donne tous ces légumes, il y avait de quoi faire plein de petits plats différents, rien que d'y penser j'avais l'eau à la bouche. Je le pris donc en la remerciant du fond du cœur. Je jetai un rapide coup d’œil au contenu et estimai le prix total à une somme plutôt importante ! C'était vraiment adorable de sa part.

"Sinon tu faisais quoi ici ?" me demanda-t-elle.

J'avais l'impression qu'elle cherchait à sympathiser, cela me rendait légèrement nerveuse, mais d'un autre côté cela me faisait réellement plaisir que quelqu'un se soucie de ma personne de cette manière. Et puis, j'avais besoin de retrouver des contacts et des relations au lieu de me murer dans ma solitude...

"Je cherchais un cadeau pour un ami." fis-je avec un petit sourire, "Mais je n'ai pas vraiment d'idée..."

Enfin j'avais eu l'idée de la breloque, mais après réflexion il y avait mieux comme cadeau. Sauf que je ne savais toujours pas quoi. Mais peut-être qu'elle pourrait m'aider, elle était sûrement beaucoup plus à l'aise que moi avec les relations humaines.

"Tu n'aurais pas une idée ? Il doit avoir à peu près ton âge."

Le pire je crois, c'est qu'elle trouvait vraiment ça cool comme cadeau. Je me promis intérieurement de lui offrir quelque chose de plus sympa par la suite. Genre un collier, j'étais certaine de pouvoir trouver un collier qui lui irait tellement bien que même ma grand-mère lui ferait les yeux doux.

"Je cherchais un cadeau pour un ami. Mais je n'ai pas vraiment d'idée..."

Si elle continuait à sourire de cette manière j'allais y passer. Sans se soucier des effets néfastes de sa timidité sur mon cerveau, elle poursuivit :

"Tu n'aurais pas une idée ? Il doit avoir à peu près ton âge."

Un ami ? De mon âge ? Ce n'était vraiment pas une lycéenne comme celles du café. Celles-là, j'aurais pu les étouffer avec des choux à la crème tellement elles me gonflaient. Des petites pestes. Et avec des goûts niveau garçons... Même à leur âge je n'en aurais pas voulu.

"Eh bien... Ça dépend, il est comment ? Tu sais ce qu'il aime ?"

Il y avait tellement de possibilités. Et ça faisait bien longtemps que je n'avais pas fait de cadeaux à quelqu'un. J'espérais juste que c'était simplement son ami et rien de plus.

Elle sembla hésiter. Bon, j'aurais peut-être dû demander à un garçon, mais je n'en connaissais pas vraiment.

"Eh bien... Ça dépend, il est comment ? Tu sais ce qu'il aime ?"

Non je n'en savais strictement rien. Si seulement j'avais eu ne serait-ce qu'une petite idée de ce qu'il appréciait. Je secouai négativement la tête.

Peut-être que j'aurais dû aller faire les magasins en ville, le problème, c'était que les magasins fermaient tôt et que j'avais des cours mine de rien. Le marché de Blichy lui, durait un bon moment et il y avait toujours un bus pour me ramener à Astre-sur-Mer.

"Je n'en ai vraiment aucune idée, on s'est vu deux ou trois fois seulement, mais ce serait un cadeau de remerciement plutôt."

Si on avait été plus proches... Mais je n'étais proche de personne, il fallait que je me fasse à cette idée. Personne depuis si longtemps... J'aurais bien aimé dire que cette rencontre avec Stella allait aboutir avec quelque chose, mais il y avait peu de chances.